La maison des sons : j’habite une musique.


A 18h00
Capriccio création en France
Phrases de quatuor
Envol création
Miroir du temps

Durée: 70’ environ


A 20h00
Gymkhana
Dracula 2010

Durée: 60’ environ

20 octobre 2010


Entrée


Acheter les billets, se présenter au comptoir de la FNAC, les retirer, lire l’adresse tenue jusqu’alors secrète. Le soir venu, se rendre dans une rue du 12ème arrondissement, arrêt Bel Air, traverser la coulée verte. La maison est visible de loin - une petite fille, passant sur le trottoir d’en face, écarquille les yeux et ralentit. La baraque est toute en hauteur, son portail dégouline de lierre. Tendre le billet à l’entrée. Bric-à-brac accroché aux murs de la cour intérieure, matériau composite formant autant de sculptures concrètes, illustrations visuelles d’une musique qui s’est elle-même faite plastique. Doucement, traverser la cour et pénétrer dans la maison des sons. Entrer pour le début du concert, diffusé dans chaque pièce depuis le studio par son locataire : Monsieur Henry. L’oeil écoute.





Sous-sol


Magnétos huit pistes ancestraux, filtres band-pass obèses, diapasons multiples, potentiomètres délaissés, circuits désossés plaqués aux murs gris, clés d’accordeurs, touches de piano solitaires, amplis/op des sixties, transformateurs de puissance, clous, vis, câbles dégainés, odeur de l’étain… Collection des reliques d’une ingénierie déjà obsolète. Tout est question, en musique concrète, d’attention aux bruits, aux restes, aux reliquats de l’écoute ordinaire. Miroir du temps : les cloches d’un autre âge (celle de Psyché rock) passées à la moulinette techno. On rie - jaune. Il n’y a pas de débris, il n’y a que des imaginations trop courtes ; il n’y aurait pas de petite musique ? que des oreilles bornées ?




L’escalier


Traverse perpendiculairement la bicoque. Boyau casse-gueule qui dessert chaque niveau, à l’image des câbles, mystérieusement cachés, qui transmettent le son dans chaque pièce. Colonne vertébrale d’un musicien de 82 ans. Car comment articuler les sons entre eux, comment produire la syntaxe des sons d’une vie entière ? Phrases de quatuor : la phrase de Schubert, verticale elle aussi, descendante, s’inscrit dans le décor plus ou moins agité et protéiforme de la vie sonore. Une musique m’habite, j’habite une musique. Je monte et descends entre ses strates, par un escalier tortueux de temps.



La salle aveugle


Au rez-de-chaussée, une salle, des haut-parleurs, en leur centre un micro. Il se tient seul, au bout de son trépied, individu important mais presque indésirable. Présence mystérieuse, il est le point aveugle d’une écoute anonyme. Acousmatique : Pythagore place un voile entre le maître et l’élève. Seulement ainsi, l’élève pourra entendre. L’acousmatique coupe le son de son contexte d’apparition. Dès lors, le micro, dans cette maison, est contradictoire… J’habite une musique, avec mon corps, et mes musiques, et mes gestes musiciens. Et la maison que je visite dit, de tous ses murs : « regarde, regarde la musique ».


Le studio


L’antre. Au bout d’une chaîne de magnétophones anciens, une pile de DAT, une table EMT et des centaines de bandes, l’homme est assis, non pas voûté mais posé là en son centre, semblable à un bonze mi renfrogné/mi amusé. Sur un meuble, une paire de ciseaux argent. Peut-être n’y touche-t-il plus. C’est cependant l’objet qui me semble le plus précieux, plus que les machines coûteuses, que les reliques de l’ingénieur. C’est le geste origine : prendre la bande, la couper, la boucler. Constituer un objet sonore, puis des objets de cet objet, autant de sons épinglés comme des papillons, autant d’objets trouvés, que les fondateurs se faisaient passer, presque en secret, au tout début de cette histoire. Des objets bizarres, comme des objets précieux. Ces passionnés d’un art curieux qui venait d’apparaître, l’art des sons fixés. Sur un meuble, une paire de ciseaux argent.



La bibliothèque musicale


Il y a d'abord les bandes magnétiques comme autant de rouleaux aux caractères mystérieux. Bandelettes, supports de sons cunéiformes. Rouleaux d'un texte dont la syntaxe nous échappe.



Deux volumes immédiatement visibles : le Traité des Objets Musicaux et le Journal de Pierre Schaeffer. Leur présence fait presque trop bonne figure. Lorsque Monsieur Henry quitte les studios de la RTF, en 1958, il se réfugie dans sa maison – une autre. Alors, il apprend à faire avec. Privé de matériau, privé d’outils à sons fixés, il utilise ce qui lui tombe sous la main : bouts de ferraille, acoustique de la salle de bain, quelques micros. Plus tard, les machines reviendront. Mais cette maison témoigne de cette étape, tapissée qu’elle est des choses avec lesquelles on a fait, avec lesquelles ont peut faire. L’étape de la scission, où l’on quitte le confort des studios. Pourtant, les livres de Schaeffer sont là, collection du Seuil, tranche olive, propre. Hommage à l’homme du studio, qui répugnait tant à se dire musicien. Qui, avec sa mauvaise conscience, admirait l’autre, au talent si spontané que la musicalité d’une timbale ou d’une locomotive ne lui posait en rien problème. Alors allégeance au chercheur, qui rêvait d’une musique : elle est sous ses yeux, il ne l’entend pas.


La chambre


Quelques chaises disposées à côté du lit, lequel, un peu défait, m’étonne par sa simplicité. Je me suis parfois dit que cette musique avait quelque chose des sons qui nous viennent dans le demi-sommeil : sorte de retour à l’improviste des voix du monde, à la fois familières et méconnaissables. Elles parlent haut et clair à l’oreille, parfois comme pour intimer un ordre précis. Mais les mots sont insaisissables. Ces voix se mêlent au silence opaque du sommeil venant, l’oreille fait le vide et éructe quelques pans de journée encore. Mais y a-t-il jamais silence ? (même quand il ne se passe rien, il se passe toujours quelque chose, « Something is always happening »). Déjà, je n’imagine pas ses rêves silencieux, et le silence a déjà une qualité sonore, l’opacité aux sons. Alors je me demande : Rêvons-nous des sons ? Non pas au sens propre (nous rêvons en sons) mais – les sons dont nous rêvons sont-ils aussi étranges que les lieux, les visages, bref, le visible dont nous rêvons ? Dans ta chambre, les quelques chaises sont tournées, face aux grands haut parleurs. Mais c’est vers ce lit très simple que nos regards convergent.



Comme si les rêves sonores pouvaient donner une quelconque clé, celle de la maison de sons, dont nous sommes sortis un peu plus jeunes qu’avant – maison rêvée par un enfant, celui là même qui regardait ébahi avant notre entrée : je décrirais ses pièces comme un long commentaire d’écoute.


Conseil : ouvrir les liens musicaux dans un autre onglet.


4 commentaires:

Anonyme a dit…

le chemin est beau, texte matière à songe, et opacité drôle de ce qui devrait se dire - pour moi comme l'odeur de bois d'un escalier, comme la poussière salée d'un livre, comme suc ainsi à trouver dans les plis des objets. (mais j'ai l'enfance étrange, je dois dire )

___ a dit…

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Lui, il sait.

c'est le grand Ami.



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Sophie Solnychkine a dit…

Magistral ! Mon post préféré de tout le blog.
Finesse, subtilité, humanité. Merci Paulette.

Pauline Nadrigny a dit…

Merci beaucoup Sonjka!