Images de la frontière kirghize




Le col d’Irkeshtam

Article Le Monde, 15 octobre 2010.

“C’est le dernier village Kirghize avant la frontière chinoise à 5 kilomètre de là. Un village ? Un campement plutôt. Perchées à 3000 mètres d’altitudes entre Pamir et Monts Célestes, des dizaines de caravanes prennent la rouille et s’incrustent dans le sol. Des pneus leurs servent d’escalier. Sur certaines d’entre elles, les lettres peintes « магазин » (magasin) s’écaillent lentement. Cigarettes, vodka, et babioles de bazar sont proposées aux routiers de passage. Quelques familles habitent là, vivants de ces commerces ou de petits trafics. Entre les roulottes, des poids lourds se sont garés, ils attendent un chargement ou la réouverture matinale de la frontière. Leur chauffeur, des kirghizes, ouighours, tadjikes, se retrouvent pour une nuit ou une semaine dans ce caravansérail des temps modernes, décor pour un Mad Max d’Asie Centrale. Les chinois sont invisibles. Ils dorment dans leur camion garé dans un parking surveillé, un peu à l’écart. Trop de vols ont installé un climat de méfiance.

Entre chien et loup, un homme titubant d’alcool passe, le visage ensanglanté. Personne ne lui prête attention. Les phares des camions et les ampoules des caravanes sont les seules lumières. Un corpulent tadjik nous invite dans une petite chambre qu’il partage avec quelques compatriotes. Ils sont là pour de longues semaines, coordonnant le passage de fret, des poids lourds chinois à leurs homologues kirghizes ou tadjiks. Foin du ramadan, on trinque à coups de vodka. Une vidéo porno sur un téléphone portable fait tourner les rire. Elle vient d’un chauffeur chinois. L’occasion de passer en revue les ethnies des cette Babel asiatique : les kirghizes ? Des voleurs. Les ouighours ? Des menteurs. Les ouzbeks ? Des barbares. Les chinois ? des gens de confiance, on peut compter sur eux et tout marche tellement bien Chine. Ce sont d’ailleurs des produits chinois qui remplissent leurs camions. Vêtements, jouets, matériel de construction… Ils préféreraient être en Chine que dans ce trou. Rien à faire. Pas de boite de nuit, pas d’eau chaude, pas de toilettes, deux auberges minables. Mais notre ami est coincé ici ; quelques séjours en prison et une association au parti de l’opposition islamiste tadjik, l’ont exilé dans ce coin de terre inhospitalier.Une proposition de photo souvenir met soudainement terme à cette virile camaraderie. « Tu ne m’as pas vu, on ne se connait pas. » A peine ces mots lâchés, qu’un bref tremblement de terre achève de ramener tout le monde à la sobriété et nous précipite hors de la chambrée dans une nuit devenue brusquement inquiétante”.


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