"Pourquoi estimons-nous que Pierre Henry et Pierre Schaeffer n’ont pas eu tort?" demande Michel Chion. "Parce que la révolution de la musique concrète, ce n’est pas seulement de créer de l’inouï, cet inouï qu’on a su très bien obtenir depuis l’orchestre traditionnel et ensuite avec les sons synthétiques ou traités informatiquement en direct, mais c’est de manier concrètement, comme son nom l’indique, le son fixé, avec sa couleur, son espace, sa durée, ses caractères concrets et non symbolisés sur papier."
Si Schaeffer se place résolument comme l’instigateur d’une exploration ouverte du spectre sonore, ce n’est pas dans le sens où cette exploration devrait déboucher sur une production de l’inouï. Au contraire, c’est sur la complexité intrinsèque de toute écoute que cette recherche doit s’effectuer. Si une recherche doit être mise en œuvre, elle est forcément liée pour Schaeffer à une pédagogie de l’écoute, comme apprendre à entendre. L’inouï en question dans la musique expérimentale apparaît dès lors non pas comme la caractéristique d’un son dans sa formalité physique mais comme un ouïr repris en compte, dans le cadre du couple ouïr-comprendre. Faire de cet ouïr quotidien un acte renouvelé, un « in-ouïr », semble dès lors caractériser la démarche expérimentale plus que la simple volonté d’une exploration formelle du spectre. Ici se dégage peut-être la spécificité d’une pratique musicale par rapport au seul cadre théorique de la recherche en studio, spécificité qui recoupe celle d’une démarche phénoménologique à la source de l’acousmatique, opposée à la seule visée expérimentale. Tout son est inouï, le grincement d'une porte, le timbre d'une clarinette, le signal de l'oscilloscope, dès lors que l'on se donne la peine de "l'in-ouïr".
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