"L'intérêt d'Ira pour la taxidermie faisait partie de la fascination prolétaire qu'il avait conservée non point tant pour la beauté de la nature, mais pour la nature modifiée, industrialisée, exploitée, retouchée, usée, défigurée, voire, comme on commençait à s'en rendre compte au coeur de ce pays du zinc, détruite par l'homme. Lorsque je passai pour la première fois le seuil des Bixton ( Horace et Frank taxidermistes, père et fils) le bizarre capharnaüm de la petite pièce du devant me donna le vertige : il y avait des peaux tannées empilées partout; des andouillés pendus au plafond, avec des étiquettes, accrochés par du fil de fer, des andouillers sur toute la longueur de la pièce, par douzaines. D'énormes poissons vernis pendaient également au plafond, des poissons luisants aux nageoires déployées comme des voiles, des poissons luisants avec des épées allongées, un gros poisson luisant au faciès de singe; des têtes d'animaux, petit modèle, moyen modèle, grand et très grand modèle montées sur chaque centimètre carré du mur; toute une escadrille de canards, d'oies, d'aigles et de hiboux sur le plancher, nombre d'entre eux ailes déployées comme en plein vol. Il y avait des faisans, des dindons sauvages; il y avait un pélican, un cygne et puis aussi, furtivement répartis au milieu des volatiles, un putois, un lynx, un coyote, et deux castors. Sous des vitrines poussièreuses, le long des murs, des oiseaux de petite taille, colombes, pigeons, un petit alligator, ainsi que des serpents enroulés, des lézards, des tortues, des lapins, des écureuils et des rongeurs de tout poil, souris, belettes, en compagnie d'autres bestioles antipathiques que je n'aurais pas su nommer, toutes nichées de manière réaliste dans de vieux décors naturels fanés. Et, partout, de la poussière, recouvrant les fourrures, les plumes, les peaux, tout.
Philippe Roth, “J'ai épousé un communiste”.
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